Créée après le démembrement de l’empire d’Autriche-Hongrie en 1919, la Tchécoslovaquie s’est scindée en 1993 en deux États indépendants : la République tchèque et la Slovaquie.
Histoire de la Tchécoslovaquie
Le territoire de la Tchécoslovaquie, qui se compose des pays tchèques (la Bohême, la Moravie et une partie de la Silésie) et de la Slovaquie, a toujours été une sorte de sismographe de l’Europe. Qui tient la Bohême tient l’Europe, dit une maxime généralement attribuée à Bismarck ou à Napoléon Ier. Il n’est donc pas étonnant que ce pays continental ait été en permanence un enjeu, bénéficiant et souffrant à la fois de sa position de passage et de limite. Au long de l’histoire, il fut ainsi au point de contact entre Rome et les Barbares, entre les Germains et les Slaves, entre l’Occident chrétien et le monde byzantin, entre les catholiques, les protestants et les orthodoxes, et, au XXe siècle, entre l’Occident et l’univers soviétique.
Les fondements historiques de la Tchécoslovaquie
Après les Celtes et les Germains, des tribus slaves s’installent sur ce territoire tchécoslovaque aux Ve et VIe siècles de notre ère. L’ancêtre éponyme d’une de ces tribus donnera son nom au peuple tchèque. Au contact des Francs et de Byzance, les Slaves tchèques, moraves et slovaques commencent, à la fin du VIIIe siècle, à se christianiser. Un royaume slave unifié, la Grande-Moravie (selon l’appellation donnée 70 ans plus tard par Constantin VII Porphyrogénète), est formé vers 830 sous l’autorité du prince Mojmír. À la demande de Rastislav, successeur de Mojmír, les frères Cyrille et Méthode viennent de Salonique, en 863, pour évangéliser la population; ils introduisent l’alphabet glagolitique (à l’origine de l’alphabet cyrillique) pour transcrire les idiomes slaves.
À la fin du IXe siècle, sous le règne de Svatopluk , la Grande-Moravie exerce sa souveraineté sur une bonne partie de l’Europe centrale. Mais elle succombe, entre 902 et 906, sous l’invasion des Magyars (Hongrois), qui s’installent dans la plaine danubienne et soumettent les Slovaques. Ces derniers seront séparés des Tchèques pendant plusieurs siècles.
L’époque médiévale de la Tchécoslovaquie
Le centre politique des pays tchèques se déplace alors de Moravie en Bohême, moins vulnérable en raison de son relief. S’y affirme bientôt la dynastie princière des PSemyslides, qui favorise la progression du christianisme: après sainte Ludmila et saint Venceslas (Václav en tchèque), saint Adalbert, deuxième titulaire de l’évêché de Prague, fondé en 973, rehausse le prestige de la principauté. Mais il faut attendre la fin du XIIe siècle pour que les PSemyslides soient élevés à la dignité royale par l’empereur germanique: le duché de Bohême devient royaume héréditaire en 1198. Le rôle éminent des ordres bénédictin et cistercien, les richesses argentifères, l’intelligence politique des souverains et le développement économique – fondé sur la colonisation urbaine et agraire, souvent d’origine allemande – permettent l’affirmation de la Bohême médiévale sur la scène européenne.
Son apogée est marqué par le règne d’Otakar II (1253-1278), incarnation de l’idéal du roi-chevalier, qui étend son emprise jusqu’à l’Adriatique, mais échoue dans son ambition d’être élu empereur du Saint Empire romain germanique. Otakar II meurt en 1278 en combattant les Habsbourgs, et la dynastie s’éteint en 1306.
Les Luxembourgs sont choisis pour lui succéder. Jean de Luxembourg agrandit les territoires du royaume de Bohême de la Lusace et de la Silésie. Son fils Charles, roi de Bohême et roi de Germanie (1346-1378), deviendra empereur germanique sous le nom de Charles IV en 1355. Lettré et savant – il a été élevé à la cour de France –, Charles transforme Prague en une somptueuse capitale d’empire, et reçoit le surnom de «Père de la Patrie». Son successeur, Venceslas IV, manque en revanche de l’envergure nécessaire pour faire face à la grave crise sociale et religieuse qui secoue le pays: Jan Hus (v. 1370-1415), théologien et prédicateur, lance un mouvement de réforme religieuse, s’élevant en particulier contre les abus de la hiérarchie, riche et corrompue, de l’Église catholique romaine. La doctrine hussite fait de nombreux adeptes en Bohême, en Moravie et jusqu’en Hongrie et en Pologne. Mais, plusieurs fois excommunié, Jan Hus est condamné pour hérésie au concile de Constance (1414) et brûlé vif (1415).
Il s’ensuit une longue période de troubles, les hussites se dressant contre Sigismond de Luxembourg – monté sur le trône de Bohême en 1419 –, en qui ils voient le responsable de la mort de Jan Hus: les guerres hussites dureront jusqu’en 1436. Le royaume de Bohême, majoritairement acquis aux idées du réformateur, anticipe ainsi sur la réforme protestante. C’est un seigneur hussite, Georges de PodKbrady, que les Tchèques éliront comme roi en 1458; son règne (1458-1471) sera marqué par la tolérance religieuse: il tentera – en vain – d’imposer un projet d’organisation pacifique de toute la chrétienté.
Pendant ce temps, la Slovaquie reste sous la domination hongroise. Cependant, les couronnes de Hongrie et de Bohême sont réunies une première fois par Sigismond de Luxembourg (roi de Hongrie en 1387), puis, à la fin du XVe siècle, par les Jagellons de Pologne. L’influence culturelle de la Bohême, qui s’exerce notamment à travers la prestigieuse université Charles de Prague (fondée en 1348), apparaît importante en Slovaquie dès le début du XVe siècle, époque à laquelle le tchèque est introduit dans les écrits.
La domination habsbourgeoise
Le Moyen Âge prend fin dans la région alors que les Ottomans déferlent dans la plaine danubienne, en 1526. Cette irruption pousse la noblesse de Bohême à élire un i – la dynastie autrichienne, devenue impériale, étant alors au sommet de sa gloire et paraissant la plus apte à résister. La Moravie et la Hongrie (réduite pratiquement à la Slovaquie) passent aussi sous la domination des Habsbourgs.
En 1583, Rodolphe II installe sa cour à Prague.
Deux logiques s’affrontent désormais: celle du souverain, marqué par une culture espagnole de reconquête catholique, qui souhaite consolider, voire unifier, ses possessions; et celle des pays tchèques, dominés par la noblesse locale et le protestantisme, qui cherchent à préserver leurs prérogatives. Cette confrontation aboutit à la disparition des villes comme centres de pouvoir politique et à une restauration catholique; en outre, les Habsbourgs obtiennent, en 1554, que la couronne de Bohême leur soit transmise héréditairement.
Tout au long du XVIe siècle, une génération marquée par des idéaux de tolérance permet cependant de maintenir une coexistence pacifique entre les religions, bien que l’Église de l’Union des Frères moraves, rameau sorti du mouvement hussite, soit mise en marge. C’est au début du XVIIe siècle que les lignes de fracture européennes se rouvrent entre catholiques et réformés. L’affrontement éclate à Prague le 23 mai 1618, quand des nobles protestants défenestrent deux lieutenants de l’empereur Mathias, marquant ainsi le début de la guerre de Trente Ans. Le 8 novembre 1620, les armées des États tchèques insurgés sont défaites par les Impériaux à la Montagne Blanche, et la Bohême est réduite au rang de province héréditaire. Le pays, ravagé par la guerre pendant près de trois décennies, subit une recatholicisation radicale, qui entraîne l’émigration des élites. L’historiographie tchèque qualifie de «Ténèbres» la période qui suit cette défaite et s’étale jusqu’en 1740. En fait, à côté des zones d’ombre sociale et politique qu’elles projettent sur les pays tchèques, les Ténèbres sont aussi caractérisées par un remarquable épanouissement de l’art baroque.
L’éveil des nationalités
Sous l’influence des idées des Lumières et dans l’épreuve des guerres perdues, les souverains Habsbourgs, Marie-Thérèse (1740-1780) et Joseph II (1780-1790), sont contraints de moderniser leurs États: sécularisation du pouvoir politique, laïcisation de l’enseignement, transformation institutionnelle et fiscale, suppression du servage… Mais ce processus réformateur est brutalement interrompu quand éclate la Révolution française, et la monarchie autrichienne s’enfonce dans une politique réactionnaire, refusant de prendre en compte les revendications des nationalités.
En une vingtaine d’années, au début du XIXe siècle, les premiers «éveilleurs» tchèques, pionniers de la recherche linguistique et historique, posent les bases du réveil national en codifiant la langue tchèque et en la modernisant. Les Slovaques suivent un peu plus tard le même processus, dans les années 1840. Les littératures des deux pays, marquées par le romantisme, commencent à donner des œuvres d’envergure européenne. À ce patriotisme national et linguistique en plein éveil, les Tchèques FrantiUek PalackY et Karel HavlíIek et le Slovaque Ludovit Stur donneront un contenu politique.
La «révolution des peuples» de 1848 constitue en effet un tournant dans la définition de programmes nationaux autonomes. Les Tchèques fixent leur position vis-à-vis de l’Allemagne – à laquelle ils refusent d’appartenir – et de l’Autriche – qu’ils souhaitent voir se transformer dans le sens du fédéralisme. Les Slovaques, pour leur part, réclament sans succès aux Hongrois la reconnaissance d’une entité administrative autonome et des institutions scolaires slovaques.
Même s’ils n’obtiennent pas satisfaction, leur volonté et leur action sont désormais encadrées par un programme précis. En 1867, la transformation de l’Empire autrichien en Empire austro-hongrois les laisse désarmés. Les Tchèques sont frustrés d’un rôle politique correspondant à leur poids démographique et économique: en 1914, la Bohême et la Moravie représentent environ 60 % du potentiel industriel de l’Empire, et les Tchèques se sont affirmés sur le plan local face à la minorité allemande, qui perd peu à peu ses positions économiques. Quant aux Slovaques, ils sont victimes, à partir de 1875, d’une magyarisation qui impose jusqu’à la fermeture de leurs écoles et à la suppression de leurs institutions culturelles.
La guerre de 1914-1918 est un formidable catalyseur de toutes les tensions sociales et nationales accumulées au sein de l’Empire austro-hongrois, qui n’y résiste pas et s’effondre.
La naissance de l’État de Tchécoslovaquie
La Tchécoslovaquie, qui naît officiellement le 28 octobre 1918, après l’adoption d’une Constitution centralisée, est présidée par TomáU Masaryk. Véritable démocratie parlementaire, elle réussit à se maintenir jusqu’en 1938. Puissance économique non négligeable (automobiles, chaussures Bata), elle abrite 15 millions d’habitants, réunissant Tchèques et Slovaques – très proches linguistiquement – mais aussi un tiers de citoyens minoritaires (Allemands, Hongrois, Ukrainiens…). Le pays est dépendant du marché mondial, vers lequel est dirigée une part importante de sa production. Ces fragilités sont mises en lumière par la crise de 1929: la production industrielle baisse de 40 % en quatre ans. Particulièrement touchée par la dépression, la minorité allemande se rallie massivement au national-socialisme; Hitler s’en servira comme d’un levier pour sa politique d’agression.
La Seconde Guerre mondiale
En septembre 1938, l’affrontement intérieur entre les Tchèques et la minorité allemande se déplace sur la scène internationale. À Munich, la Grande-Bretagne et la France, trahissant leur parole pour conserver une paix hypothétique, signent avec l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste, des accords qui sanctionnent le dépeçage de la Tchécoslovaquie. Le Royaume-Uni et la France avaient pourtant donné à la Tchécoslovaquie des garanties militaires et le gouvernement français, qui avait d’abord encouragé la signature d’un pacte régional entre la Tchécoslovaquie, la Roumanie et la Yougoslavie, la Petite Entente, avait signé avec le gouvernement tchèque un traité défensif le 24 janvier 1924, et une mission militaire française était chargée d’encadrer et d’organiser la défense nationale.
Les territoires sudètes sont annexés par le Reich, désorganisant les restes de l’État tchécoslovaque, qui se fédéralise, mais ne peut résister à la pression des différentes minorités (hongroise, polonaise, ruthène, slovaque). Le 15 mars 1939, les armées de Hitler envahissent les pays tchèques, qui sont transformés en protectorat allemand de Bohême-Moravie, véritable «colonie économique» du Reich; les élites y sont largement décimées. Sous un semblant d’indépendance, la Slovaquie devient, de fait, un satellite de l’Allemagne nazie. La satisfaction des Slovaques de jouir pour la première fois d’un État s’accompagne du malaise créé par les excès d’un régime clérical poussé par des extrémistes vers le fascisme.
La résistance s’organise, mais ne peut revêtir une grande ampleur avant 1944 : le 29 août, à Banská Bystrica, une partie de l’armée slovaque, s’alliant à des partisans communistes et à des résistants d’autres partis (agrariens, indépendants socialistes) se soulève, avant de se replier dans les montagnes du centre du pays. Dans le protectorat, la résistance tchèque, décapitée après l’assassinat de Reinhard Heydrich en 1942, ne reprend qu’en mai 1945, avec le soulèvement de Prague, qui précède la libération par l’Armée rouge et l’expulsion des Allemands de Tchécoslovaquie.
La Tchécoslovaquie Sous la guerre froide
Grâce à la résistance extérieure fédérée par l’ancien président de la République Edvard BeneU, l’État tchécoslovaque est rétabli dans ses frontières d’avant Munich, à l’exception de la partie orientale du pays, que Moscou rattache à l’Ukraine. Pendant près de trois ans, les Tchécoslovaques connaissent un régime de démocratie, auquel Staline et les communistes, très puissants dans le pays depuis 1945, décident de mettre un terme en février 1948. Ils prennent le pouvoir à la faveur d’une crise gouvernementale et mettent en place un régime de parti unique qui durera plus de quarante ans caractérisé par l’emprise de l’État-parti sur tous les secteurs de la société et son alignement sur la politique soviétique.
Le pays connaît une déstalinisation tardive mais, dès le début des années 1960 éclate une crise économique et sociale sans précédent. Un courant réformiste, qui touche des secteurs toujours plus larges de la société, se développe alors. Il débouche, en 1968, sur le «printemps de Prague», marqué par la volonté de créer un «socialisme à visage humain», dont Alexander DubIek, premier secrétaire du parti communiste, devient le représentant. Mais cette expérience, qui réconcilie en partie l’opinion avec ses dirigeants, est tragiquement interrompue le 21 août par l’invasion des troupes du pacte de Varsovie. Suit une longue «normalisation», avec son cortège de procès et d’épurations (un demi-million de communistes sont exclus du Parti) et la surveillance rapprochée de milliers de citoyens suspects, par une police secrète omniprésente.
En 1977, malgré la répression, naît la Charte 77, qui s’appuie sur la défense des droits de l’homme: animée par des esprits courageux, elle devient la conscience morale de la nation, et c’est de son sein que sort l’essentiel de la contestation du régime. Ce dernier, s’il apporte aux masses une certaine sécurité matérielle, a en effet perdu sa légitimité; il s’effondrera en quelques jours, dans un contexte international favorable, à l’automne 1989. Un dramaturge sortant de prison, porté par le mouvement du Forum civique (OF), Václav Havel, devient président de la République fin décembre.
Mais, après une phase d’euphorie et d’enthousiasme, la nouvelle Tchécoslovaquie ne résiste pas aux tensions anciennes qui existent entre Tchèques et Slovaques et qui sont entretenues et activées par une partie de la classe politique. La «révolution de velours» de 1989 est suivie du «divorce de velours» de 1992: depuis le 1er janvier 1993, la République tchèque et la Slovaquie suivent chacune leur propre voie.
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