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Paul Gauguin

Paul Gauguin
Zoo de Beauval
Zoo de Beauval

A l’aube du 21ème siècle combien sont-ils, tel Paul Gauguin, ces occidentaux las d’une société turbulente, à effectuer le voyage pour les Marquises. Ils vont, viennent de part le monde, sillonnent les airs, atterrissent en un point du globe, confrontent aux réalités leurs rêves nés des Lectures, des images, des récits, et repartent dans leur pays.

Portrait de Paul Gauguin
Portrait de Paul Gauguin

Paul Gauguin peintures des îles Marquises

Certains voyageurs font escale à Hiva Oa. Ils sont saisis par la beauté des lieux, la virginité de la nature, ils manifestent leur étonnement, cet archipel n’est pas comparable aux îles de la Société baignées de leur paisible lagon. Dressé au milieu de l’océan Pacifique, leurs falaises noires plongent dans la mer, on y pénètre par des baies… L’homme franchit les obstacles géographiques, mais combien pourrait faire le vertigineux saut, le choix de Gauguin, combien saurait dépasser les limites du tourisme ne serait-ce que pour y vivre une seule petite année, une misérable année?

Je me souviens du voyage d’un directeur de musée européen venu en Polynésie afin de préparer une exposition sur Gauguin. Un soir, à Atuona, devant un verre de Hinano, s’émerveillant du paysage, de la lumière, de la tranquilité, me posant des questions savantes, ingénieuses, comiques… Il me parla à son tour de la fuite :

Gauguin, me dit-il, a fui, il a fui d’abord Paris, puis il a fui I’Occident, mais pourquoi a-t-il choisi les Marquises ?

En effet, pourquoi, acquiesçai-je, puis, enchaînant non sans malice, je lui posai à mon tour une question :

Pourriez-vous vivre à Atuona. ?

Il réfléchit un instant avant de me répondre un vague…  » oui « . J’insistai,  » mettons que je vous offre une belle demeure et tous les moyens modernes, combien de temps resteriez-vous ? Un an?  » Il me fixa un long moment, enfin son regard s’éloignant à l’horizon, il me répondit gravement  » non « . « Mais alors, qu’entendez-vous par fuir, questionnai-je, peut-on fuir en un lieu si austère au bout du monde, où même de nos jours vous n’accepteriez pas de consacrer une seule année de votre existence pour tenter de vous frotter au quotidien de l’isolement.

Gaugin – Huile sur toile. 1902

Paul Gauguin - Cavaliers sur la plage
Paul Gauguin – Cavaliers sur la plage

Bien entendu, il n ‘admit rien, rien d’autre que la fuite, celle que tout « sédentaire » envisage avec inquiétude, mais surtout avec cette incompréhension qu’il manifeste pour ces âmes vagabondes qui ont une quête, qui consacrent leur vie à chercher la réponse qu’elles ne trouveront jamais. Gauguin, une fois encore, était ce vulgaire fuyard, celui que tout le monde peut être en s’asseyant simplement dans un confortable fauteuil.

Pourtant, le 10 septembre 1901, Paul Gauguin embarque à bord de la Croix du Sud, vapeur néo- zélandais qui assure la liaison entre Tahiti et les Marquises.

Quitte-t-il Tahiti pour fuir le colonialisme et se détourner des cicatrices que la civilisation blanche ne cesse de laisser depuis plus de cent ans dans l’âme d’un peuple asservi à une religion, une morale, un pouvoir, des lois etc., venus d’au-delà des horizons du grand océan ?

Pour complaire aux uns, mais aussi pour ne point s’écarter d’une réflexion assujettie à nos sentiments les plus intimes, on peut en effet parler de fuite. Et pour mieux se convaincre, pourquoi ne pas nous en tenir à la lettre des propos même que Gauguin employa avant son départ de France

…fuir, là-bas…fuir…

La réponse nous appartient. Il est vrai qu’elle est en chacun de nous. Mais le choix de Gauguin autant que l’homme nous dérangent en nous mettant face à notre image où disparait notre autosatisfaction, comme humblement effacée par notre faiblesse. En effet, ne faut-il pas montrer une force peu ordinaire pour s’exiler aux confins de la terre, et l’on est en droit de se demander si la seule raison de la fuite serait capable d’en fournir assez pour qui n’a rien à se reprocher.

Que l’on imagine un instant cet homme malade, aux jambes bandées, assis à sa table devant une correspondance qu’il vient de recevoir de son fidèle ami Georges Daniel de Monfreid. Elle a quitté la France depuis près de trois mois, enfin il peut lire quelques phrases qui l’informent, le rassurent, l’encouragent, traitent de l’art, de sa création…, et, la lettre achevée…à nouveau en proie aux souffrances d’un corps épuisé, se trouve aux prises d’une réalité acide qui ne laisse de place qu’au combat et à la création si étroitement liès dans cette vie à l’aspect chaotique.

D’autres nouvelles parviennent sur sa table. Il est abonné au Mercure de France, mensuel où il est question de littérature, d’art, de politique, de société. Moins d’un an avant sa mort il adresse à la revue un manuscrit de 28 pages, Racontars de Rapin. A Charles Morice, cet autre ami écrivain auquel il avait confié la rédaction de son manuscrit Noa Noa, il confie :

J’ai envoyé (…) une longue lettre critique, de la critique d’art : elle était un peu cuisante (…) le Mercure n’a pas voulu l’imprimer .

Ces quelques lettres d’amis, de critiques d’art, de son marchand Vollard, (sa femme ne lui écrit pas pour lui apprendre la mort de leur fils Clovis) sont à peu de choses près les seuls liens qui le rattachent encore au monde qu’il a salué pour la dernière fois en 1895.

Baigneuses, 1902. 92 x 73 – Huile sur toile. Lausanne

Les baigneuses de Gauguin
Les baigneuses de Gauguin

Il avait alors quitté la France pour gagner tahiti où il avait déjà séjourné de 1891 à 1893. Il connaissait l’île. Depuis quand mûrissait-il le projet de mettre le cap vers une terre toujours plus isolée, peut être encore vierge ?

Les difficultés pécuniaires le retiennent de longues années pendant lesquelles il doit gagner sa vie, le paria est journaliste.. Il traverse des périodes sombres, sa fille Aline décède, il attente à sa vie, croit-on, et peint son testament spirituel, Que sommes nous ? D’où venons nous ? Où allons nous ? puis Ambroise Vollard, marchand de tableaux, se porte acquéreur de son œuvre. Le contrat qui prévoit un revenu mensuel contre expédition de sa création artistique assure largement sa subsistance : Gauguin ne recule pas, il délaisse Tahiti.

Gauguin - Nafea Faa Ipoipo
Gauguin – Nafea Faa Ipoipo

Peu après son arrivée à Atuona, il achète à la mission catholique un terrain en plein centre du village ( qui compte alors près de 500 âmes), sur lequel il fait construire une spacieuse habitation.

C’est la maison du Jouir.

A la façon des cases maories, cinq panneaux de bois sculptés et polychromes encadrent l’entrées du premier étage. Derrière : une  » anti-chambre…d’un tel inconfort !  » rapporte un témoin, elle fait moins de deux mètres de profondeur et n’est autre que la chambre de cet ancien bourgeois, agent de banque. Elle est séparée par une fine cloison de l’atelier de peinture, vaste quant à lui. Au rez de chaussée, l’artiste aménage l’atelier de sculpture, la salle à manger et la cuisine.

Enfin, il faut prendre femme. Profitant de la première lutte qu’il engage contre l’administration des îles Marquises, il dénonce alors la scolarisation obligatoire, il détourna du chemin de l’école la petite Marie-Rose Vaeoho âgée de 14 ans. En septembre 1902, elle donne naissance à une fille, le huitième enfant connu de l’artiste. Cette année d’ailleurs, à cheval sur 1901-1902, est sous le signe du  » repos « , de la  » tranquillité « , de la  » solitude  » révèle-t-il à Monfreid au mois de mars. Il se  » félicite tous les jours de (sa) résolution « .

Peinture de Paul Gauguin : La soeur de charité. 1902.

Paul Gauguin - La Soeur de charité
Paul Gauguin – La Soeur de charité

Quelques peintures de Gauguin

Il peint ses dernières œuvres, des scènes de la vie quotidienne. Sur une plage rose, des cavaliers ; sous le toit épais de la forêt, des hommes passent un guet…le silence a grandi dans le cœur de l’artiste, il règne merveilleusement sur sa peinture, enveloppe les mouvements des sujets. Il peint Tohotaua, une jeune femme à la chevelure rouge, elle le fascine croit-on, elle nous fascine. Elle posa dans son atelier un eventail de plume à la main , elle pose assise sur le tapis de la végétation, l’énigmatique Meyer de Haan la surplombe à l’arrière, elle ne le voit pas. Que lui chuchote le peintre aux cheveux rouges, l’ami ressuscité d’entre les morts ? Quelques contes barbares ?

On doit à Grelet la photo de la fille à l’éventail prise dans la maison du Jouir.

Tohotaua - Photo fr Louis Grelet
Tohotaua – Photo fr Louis Grelet

Il poursuit également ses recherches graphiques sur le dessin empreinte ou momotype. Il révèle sa méthode :

On enduit une feuille de papier quelconque d’encre d’impression avec un rouleau puis sur une feuille de papier appliquée dessus vous dessinez ce que bon vous semble.

Œuvre trop souvent oubliée, non seulement Gauguin a eu  » tout le mérite de l’initiative « , elle est de surcroît d’une immense qualité artistique. Généralement à dominante ocre sépia, le trait nuance, ombre ou éclaircit, et donne aussi une lumière à ces dessins d’une grande profondeur. Nous permettraient-ils de nous élever vers le mystère de la création de l ‘artiste…pénétrant celui d’une civilisation éteinte ?

On trouvera les meilleures reproduction jamais éditées dans :

  • Racontars de rapin, sous la direction de V. Merlhès, Editions Avant et Après, 1994.
  • Julien Leclercq, dans un article sur A.B Koopman, Chronique des arts et de curiosité, 1898. Source V. Merlhès

Cependant, l’état de santé du peintre se détériore. Dans toute l’île il n’est pas un médecin. Le fameux Ky Dong, son ami, annamite déporté par erreur en Océanie et désigné d’office infirmier par l’administration, ignore tout du corps humain. Seul le pasteur Vernier en connaît les arcanes, il répond à l’appel de Gauguin, une nouvelle complicité s’installe entre ces deux hommes, mais il ne guérira pas.

Eugène Henri Paul Gauguin
Eugène Henri Paul Gauguin

Paul Gauguin. 1903

Afin de soulager sa douleur, il prend morphine et laudanum. A cette époque de stériles conflits l’opposent à l’administration, aux gendarmes, à la mission catholique, en un mot au pouvoir régnant qu’il accuse de  » régime de la terreur « . Avocat des Marquisiens, sa cause ne sera pas entendue, Gauguin épuise en vain des forces qui le quittent. Il peint rarement, mais ne reste pas oisif. Outre Racontars de rapin il rédige De l’Esprit Moderne et du Catholicisme, puis Avant et Après. Début 1903, il déclare à Monfreid :

 (…) tous mes tableaux du premier voyage de Tahiti sont à vendre (…) à n’importe quel prix. Je tiens à cette publication car c’est en même temps qu’une vengeance un moyen de me faire connaître et comprendre. La publication concerne le premier et le troisième manuscrit Avant et Après, un recueil de souvenirs, d’appréciations diverses parmi lesquelles il y a des choses terribles pour quelques uns… et bien sûrs pour les colonies…

Il n’en connaîtra jamais la publication. En janvier 1903 il rêve de sa mort :

C’était le moment vrai où je vivais heureux …s’écrit-il…

Le 1er mai il expédie à Vollard 14 tableaux et 11 dessins, 7 jours plus tard, Paul Gauguin s’éteint à l’âge de 54 ans. Ses biens sont vendus, les œuvres de l’artiste dont huit tableaux, et les cinq panneaux sculptés de la maison du Jouir prennent la route de l’Europe. Le colon n’est pas collectionneur !

Image - Cartes - Photos : Paul Gauguin - gauguin marquises - la croix du sud gauguin -
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