L’histoire des raies de Polynésie commence au « Jurassique », il y a 180 millions d’années environ, les requins (présents sur la planète depuis 350 millions d’années), s’adaptèrent à la vie benthique, donnant une nouvelle lignée : celle des raies. Pourquoi une telle division (appelée « radiation » dans le jargon scientifique) ?
Histoire des raies polynésiennes
On pense que les mers connurent un appauvrissement halieutique contraignant les requins à aller chercher leur nourriture sur le fond. Cette adaptation se traduisit par de profondes modifications biologiques et morphologiques : le corps s’aplatit, les fentes branchiales glissèrent sur la face ventrale, la queue se réduit, les pectorales s’agrandirent et fusionnèrent avec le tronc et la tête, transformant également la locomotion en « battements d’ailes ». Tout ça ne se fit pas en un jour et l’on estime que certains groupes de raies actuelles sont issues de radiations intervenues à l’ère tertiaire, il y a 60 millions d’années environ.
La possession d’un squelette cartilagineux, plutôt qu’osseux, est un caractère distinctif essentiel non seulement chez le requin, mais aussi chez la raie, l’ange de mer et une famille de poissons abyssaux qu’on appelle « poissons-rats » ou « chimères ».
En raison de ce caractère exclusif, ils sont rangés ensemble dans la classe des Chondrichtyens, plus simplement connus sous le nom de poissons « cartilagineux ». Là, ne s’arrête pas leur différence. L’opercule, l’épais repli de peau durcie qui protège les branchies et assure la fonction de pompage de l’eau chez les poissons osseux, n’existe pas chez les poissons cartilagineux. Il est remplacé par 5 paires de fentes branchiales, situées, de part et d’autre du corps pour les requins, et sur la face ventrale des raies et anges de mer. C’est pourquoi on les regroupe au sein d’une sous-classe : celle des « Elasmobranches ».
Traditions et Mythologie en Polynésie
La tradition orale n’a laissé que peu de références sur la présence de la raie dans la culture polynésienne. Henry Teuira dans son livre « Tahiti aux Temps anciens » note que la raie, comme la tortue, la pieuvre ou le requin, avait sa place dans la mythologie puisque les anciens voyaient en elle le marae mouvant de Taaroa, Dieu suprême, créateur de toutes choses. Greg Dening dans son ouvrage « Marquises 1777-1880 » remarque quant à lui, que la manta, de même que la tortue, était utilisé lors d’offrandes importantes aux divinités et pouvait être substituée à des victimes humaines. Mais c’est sans nul doute dans l’art marquisien même que l’on retrouve les représentations de mantas les plus nombreuses et les plus significatives, tant au travers du tatouage que de la sculpture.
La figuration de ces raies n’est pas rare sur les bambous pyrogravés sur lesquels elles sont souvent représentées en bande comme dans la nature. Ces bambous avaient divers usages : récipients pour la cuisson ou le transport, contenants pour protéger des petits objets, flûtes nasales et aussi objets que l’on considère aujourd’hui comme des modèles, des supports, sur lesquels les maîtres tatoueurs enregistraient les motifs pour le dessus du bras, de l’épaule, du poignet… Ils proposaient les agencements les plus en vogue tout en faisant état de leur maîtrise.
Par ailleurs, Karl von den Steinen, tout en émettant quelques réserves faute de preuves irréfutables, constate que les dessins d’animaux marins, caractéristiques des tatouages faciaux de Nuku Hiva, pourraient correspondre à des insignes de clans. Les Taipi semblaient avoir une préférence pour le requin et la raie qu’ils considéraient comme tabu, alors que leurs voisins et adversaires Hapa’a marquaient une prédilection pour la tortue.
Il est possible que ces représentations zoomorphes correspondent aussi aux insignes d’une position sociale.
On identifie ainsi clairement une raie manta et au moins un ou deux grands poissons sur le bras droit de la princesse Paetini. Le choix réaliste d’un animal ou d’un autre élément naturel parmi les ornements corporels est sans doute à rapprocher d’un système « totémique ». Il est vrai que dans de nombreux archipels polynésiens, certaines familles revendiquaient un animal familier avec lequel elles entretenaient des rapports privilégiés, tel un esprit tutélaire avertissant ou protégeant d’un danger imminent…
Plus prosaïquement, les raies capturées avaient aussi une utilité dans la vie quotidienne, notamment les fai i’u dont les queues servaient de râpes ou de limes et la peau, à l’instar de celle du requin, rentrait dans la confection des tambours utilisés lors de cérémonies guerrières.
A moins d’être blessée et de faire la convoitise de quelque requin marteau ou requin tigre, rares sont les prédateurs de la manta. Peut-être reste t-il les orques, mais plus sûrement les hommes. Peu consommée dans le monde, et même plus du tout en Polynésie, la raie manta n’est pas menacée par la pêche industrielle. Elle n’en reste pas moins trop souvent la victime inutile des nombreux filins, lignes et chaluts dans lesquels elle s’emmêle et meure.
De nos jours la manta intrigue plus qu’elle n’effraie et des cohortes de plongeurs sont prêts à bien des « sacrifices » pour pouvoir la contempler in situ. C’est sans doute pour éviter tout dérapage dans le domaine touristique que le Territoire a pris en 1988 des dispositions relatives à sa protection en interdisant sa tenue en captivité. Celles et ceux qui voudront la contempler devront le faire là où elle reste la plus majestueuse… dans le bleu dense du Pacifique…
Les différentes variétés de rais en polynésie
Près de 500 espèces de raies peuplent les océans de la planète. Elles sont divisées en 18 grandes familles, toutes très différentes tant par leur forme, leur habitat ou encore leur mode vie. En dépit de leur affinités avec les requins, les raies forment avec les « anges de mer » un sous-groupe distinct, l’ordre des Rajiformes. Trois espèces de fai (fai étant le terme général pour désigner les raies en maohi) sont répandues et communément rencontrées en Polynésie :
- La raie armée (genre Dasyastis pour la Société et Taeniura pour les Marquises) que les Tahitiens désignent sous le nom de fai i’u (raie-lime), i’u signifiant « râpe » ou « lime » : ces outils étaient jadis fait en peau de requin ou avec une queue de raie.
- La raie-léopard (Aetobatis nari nari) dénommée avec plus de poésie et d’imagination fai manu : « raie -oiseau » (fai manu/Société – eemanu/Marquises – fai potaka/Tuamotu) eu égard à la forme oblongue et proéminente de sa tête prolongée par un museau étroit qui la fait ressembler à un oiseau. Sans doute aussi à cause de sa queue fine et longue comme celle des « paille en queue », sa nage souple et gracieuse que l’on peut qualifier de « vol ». D’ailleurs les plongeurs parlent volontiers d’un « vol de raies » pour évoquer la présence d’un banc de léopards sur tel ou tel site sous-marin.
- La raie manta (Manta birostris), la fafapiti ou fafarua (Société/Australes/Tuamotu), fafau’a (Marquises) que l’on pourrait traduire par « raie à deux cornes » : de fafa : tige/feuille/corne et piti ou rua qui signifie « deux ». Nom vraisemblablement donné à cette raie pour traduire la présence des deux lobes céphaliques présents de part et d’autre de la bouche.
La raie armée
La raie armée est présente dans tous les archipels de Polynésie. Son corps à la forme d’un disque plus ou moins anguleux prolongé d’une queue souple longue et râpeuse à la base de laquelle se trouvent un ou plusieurs aiguillons dentelés. Le disque corporel atteint en général le diamètre d’1,50 m environ bien que les proches cousines marquisiennes fassent exception en affichant de façon régulière des circonférences de deux mètres et plus pour un poids de 100 kgs.
La fai i’u est dotée d’un évent situé derrière les yeux, élément essentiel de son système respiratoire, assurant le pompage de l’eau vers les branchies situées sur la face ventrale. Animal benthique, inféodé aux fonds meubles sablo-vaseux des baies et des lagons; c’est une chasseuse active qui trouve son alimentation en fouillant les sédiments à la recherche d’invertébrés – crustacés et autres mollusques. Les proies sont écrasées sans peine grâce à une bouche pourvue de dents fortes et plates. Toutefois les scéances de « feeding » (nourrissage) effectués régulièrement par les centres de plongée démontrent que les raies armées peuvent – quand l’occasion s’en présente – avoir un régime alimentaire beaucoup plus éclectique. Ainsi ne rechignent-elles pas sur quelques morceaux de poissons lagonaires ou même de thonidés pour améliorer leur ordinaire. Réminiscences de leur lointain passé de requin ?
Quoi qu’il en soit, Les raies actuelles sont très peu adaptées à ce genre de captures et c’est sans aucun doute par la force des choses qu’elles n’y ont pas plus souvent recours.
Piètre nageuse, la raie a développé divers systèmes de défense pour échapper à ses prédateurs.
Le camouflage, tout d’abord, auquel elle a recours lorsqu’elle se repose à demi-enfouie sous le sable. Parfois, seuls les yeux positionnés sur la partie haute du disque corporel dépassent du sable et trahissent sa présence. Acculée, menacée ou encore effrayée, la raie n’hésitera pas à se défendre. Elle dispose d’armes efficaces et dangereuses situées à la base de sa queue qu’elle utilise comme un fouet : des aiguillons dentelés long de 30 cm. Ces robustes dagues sont faites pour percer le cuir des grands requins qui constituent ses principaux prédateurs. Pour le baigneur malchanceux qui n’aurait pas décelé sa présence, la blessure infligée est toujours douloureuse, grave et sujette à surinfection. Plusieures personnes en meurent même chaque année à travers le monde. La raie armée, n’en reste pas moins une animal dénué d’agressivité. Elle est facilement apprivoisable et ne rechigne pas à côtoyer les hommes lorsque ceux-ci viennent en amis… et de surcroît les poches pleines …
La raie léopard
Avec plus de poésie et d’imagination, les raies-léopards (famille Myliobatididae) sont dénommées en Polynésie « raies-oiseaux » (fai manu), sans doute en raison de la forme proéminente de leur tête prolongée d’un museau étroit qui les fait ressembler à cet animal. Sans doute aussi, à cause de leur queue fine et longue et du battement régulier de leurs « ailes-nageoires » qui s’apparente a un vol. Comme chez les raies armées, un, voire plusieurs aiguillons sont situés à la base de la queue. Si les fai manu cherchent leur nourriture constituée principalement de mollusques et d’invertébrés en fouillant le fond, c’est en pleine eau qu’elles vivent et se déplacent. En période de reproduction elles se regroupent en banc important et sillonnnent le bleu des passes des îles et atolls.
C’est ce moment fort et exceptionnel que les plongeurs appelle un « vol de raies ».
Les raies Mantas
Parmi l’extrême diversité des créatures marines, la manta est sans doute l’une des plus surprenantes. Dans le passé, les populations de pêcheurs de mers chaudes éprouvaient à son égard une crainte viscérale. L’animal effrayait, victime de son aspect, de sa taille démesurée, de ses grands ailes souples et pointues, de ses deux lobes céphaliques surmontant la tête telles des cornes… Des caractéristiques qui lui valurent la fâcheuse et tenace appellation de « diable de mer« . Les histoires les plus incroyables circulaient : ses sauts étaient considérés comme autant de manifestations d’agressivité destinés à broyer barques et occupants. Les pêcheurs de perles lui prêtaient même les plus malveillantes intentions, toujours prête, selon eux, à les plaquer au fond pour les emporter dans les profondeurs de l’océan… Le temps a passé. La connaissance a progressé. On sait maintenant que ce féroce « diable de mer » n’est qu’un géant débonnaire et pacifique qui s’alimente seulement des plus minuscules créatures marines…
Physionomie de la manta
Impossible de confondre la manta avec un autre espèce tant sa physionomie est unique et fascinante. Son corps aplati a la forme d’un vaste losange, plus large que long, terminé par des extrémités souples et pointues : les nageoires pectorales. La tête est soudée au corps. Le dos affiche une couleur brun foncé à noir alors que son ventre blanc est flanqué de tâches sombres particulières à chaque individu, à l’image de nos empruntes digitales. Vue de dessus, cette raie ressemble à un châle, d’où ce nom de « manta » que lui ont donné les Espagnols par analogie avec la « mantille » dont les belles hispaniques se couvrent les épaules la fraîcheur du soir venue. A l’inverse de la raie armée ou de la raie-léopard, sa queue, courte et râpeuse, est dépourvue d’aiguillon barbelé.
Les femelles sont généralement plus grandes que les mâles. Elles peuvent atteindre une envergure de 6 mètres et plus pour un poids dépassant la tonne. Là encore, les individus des eaux marquisiennes semblent avoir des tailles plus respectables. Certains observateurs dignes de foi ont fait état d’animaux approchant les 8 mètres d’envergure…
Situées, de part et d’autre de son immense bouche, des cornes céphaliques souples lui permettent d’optimiser sa pêche en concentrant vers sa gueule béante – à la façon d’un entonnoir – les micro-organismes qu’elle va filtrer grâce à un système situé dans l’arc branchial. Le diamètre de l’oesophage est d’ailleurs si étroit que seules de minuscules proies peuvent passer dans l’estomac. La mâchoire inférieure est pourvue de dents plates aussi minuscules qu’inutiles. Difficile de voir en elle, le « diable » agressif et sanguinaire de nos aïeux…
Alimentation de la raie Manta et Plancton
C’est généralement dans la zone éclairée proche de la surface (dite zone « euphotique »), là où les concentrations de micro-organismes sont les plus denses, que les mantas évoluent. C’est le cas des passes récifales qui sous l’effet des courants de marées drainent une quantité importante de matières nutritives en provenance du lagon. Longtemps on a pensé que les eaux du large venaient enrichir les îles autour desquelles la vie foisonne.
Mais le bleu pur des eaux du Pacifique Sud n’est que le reflet de sa grande pauvreté planctonique.
La faible teneur en sels nutrifs – due à l’éloignement des masses continentales, conjuguée à l’absence de remontés d’eaux profondes enrichies (une stratification thermique élevèe empêche le mélange entres les couches superficielles et les couches plus riches et moins chaudes situées en deçà de 200 mètres) – n’est pas propice au développement des algues planctoniques (phytoplancton) et par effet à celui du plancton animal ou « zooplancton » dont l’une des espèces les plus représentatives est herbivore.
Dans ce cas, la production primaire des îles constituait un bien curieux paradoxe. Deux chercheurs de l’IRD (Institut de Recherches et de Développement – anciennement ORSTOM) de Tahiti émirent dans les années 90 une théorie qui semble maintenant admise par la communauté scientifique. Réchauffées par le « flux géothermique » – la chaleur engendrée par le noyau terrestre – les eaux profondes riches en nutriants remonteraient par porosité dans le basalte des îles pour ressortir aux niveaux des crêtes récifales, favorisant ainsi l’épanouissement de la chaîne trophique et notamment de l’un de ses maillons essentiels qu’est le plancton. Ainsi, dans un atoll ouvert comme Rangiroa la richesse zooplanctonique est 13 fois supérieure à celle de l’océan proche.
On comprend mieux pourquoi les mantas, qualifiées de poissons pélagiques, semblent en Polynésie tout particulièrement inféodées aux eaux côtières et même lagonaires. Elles y trouvent en plus grande abondance les organismes vivants microscopiques, crustacés, larves de poissons et de méduses qu’elles ingurgitent par millions. Oui, les raie mantas sont planctonophages.
Dans l’océan, le gigantisme est souvent lié à une alimentation composée des plus minuscules créatures marines. Comme la baleine bleue ou le requin-baleine – autres léviathans marins – elles ont simplement supprimer tous les intermédiaires pour aller s’alimenter directement à la source. Ce qui peut paraître à priori paradoxal, trouve une explication rationnelle dans la profusion du plancton et la facilité de s’en nourrir. On estime que la biomasse des copépodes – petits crustacés à l’allure de crevettes – qui composent l’essentiel du zooplancton océanique est supérieure à celle de tous les autres animaux vivant sur notre planète. Une partie du zooplancton des lagons, le plancton dit « démersal », a quant à lui une caractéristique spécifique fort importante puisqu’il manifeste un comportement benthique le jour et planctonique la nuit. Des études ont montrées que le maximum d’abondance en surface était observé entre 18 et 24 heures. Une migration que les mantas connaissent parfaitement.
Ainsi lorsqu’il abonde elles sont saisie de véritables frénésies alimentaires tournoyant sur elle-mêmes pour réduire les distances et maximiser les prises.
La reproduction et les parades nuptiales de la raie Manta
Le plus souvent les raies mantas se déplacent en solitaire ou par petits groupes de trois ou quatre individus mais des rassemblements plus importants peuvent survenir. C’est notamment le cas lors de grandes farandoles aquatiques, que l’on interprète pour l’heure, comme des parades amoureuses.
A vrai dire, la reproduction des mantas est encore assez mal connue. Les mantas sont sexuellement matures lorsqu’elles atteignent la taille de 5/5.50 mètres pour les femelles et de 4/4.50 mètres pour les mâles. Les femelles sont ovovivipares : la naissance des petits se fait après incubation des oeufs dans les voies génitales. A l’issu d’une gestation de 13 mois, elles donnent naissance à un ou le plus souvent deux juvéniles d’ 1,20 mètres environ d’envergure pour un poids de 45 kg environ. Ce sont de véritables mantas « miniatures » qui adoptent aussitôt la nage gracieuse des adultes et entament une vie d’errance en quête du plancton nourrisseur. La croissance des nouveaux-nés est plutôt rapide.
Ils vont virtuellement doubler leur taille durant la première année de leur vie. Les naissances interviennent généralement sur des petits fonds autour desquels les jeunes vont rester quelques années avant d’élargir leur zone d’habitat. Image - Cartes - Photos : raie - raie manta - raie leopard - raie de tahiti - les raies de polynesie - la raie de polynésie informations - la raie de polynesie - la raie - information sur la raie en tahitien - faux merou -