Depuis le haut Moyen Âge et jusqu’à la fin du XIXe siècle, la Dordogne fut pour la région un axe de communication vital. Pour les produits lourds, le fleuve permettait des transports plus rapides que les routes mal entretenues des plateaux. Rive auvergnate et rive limousine vivaient au même rythme: celui des gabares, embarcations à fond plat qui assuraient l’essentiel du trafic entre le Haut Pays forestier et le Bas Pays viticole; à peine transformés, les produits auvergnats et limousins étaient expédiés vers le Bordelais.
Aperçu historique du fleuve de la Dordogne
Sur le fleuve de la Dordogne, les gabariers convoyaient les cargaisons de bois de châtaignier et de chêne, débités en échalas, ou carassones (piquets pour tuteurer la vigne), et en merrains (planches obtenues par fendage et destinées à la fabrication des tonneaux). Les versants des vallées de la Dordogne et de ses affluents constituaient les principales aires d’abattage. Le bois coupé pendant l’hiver flottait vers les ports, où il était débité. Aux expéditions de bois s’ajoutaient celles de fromages d’Auvergne, de porcs gras, de châtaignes, de peaux, de fourrages, puis de charbon.
Les chantiers de construction des gabares s’étaient fixés à Saint-Projet, Nauzenac, Espontours (Spontour), Valette, Argentat. Bon an, mal an, on fabriquait quatre cents gabares. Une quinzaine de ports d’embarquement s’égrenait de Bort à Argentat. Les principaux, Spontour et Argentat, ont conservé leurs quais et présentent des paysages portuaires très originaux dans ce cadre presque montagnard.
Le gabarier assurait divers métiers dans l’année: bûcheron, carassonier, pilote, marchand de bois. Si, dans ce monde hiérarchisé, les bourgeois d’Argentat détenaient une partie importante des pouvoirs, le gabarier était l’un des pivots d’une société centrée sur la Dordogne. Un tel système de transport fonctionnait lorsque les eaux étaient assez abondantes, de façon à éviter les dangers liés à la pente et aux variations de fonds. Il fallait donc attendre les « eaux marchandes », gonflées par les fortes pluies ou par la fonte des neiges, assurant un niveau de 1,50 m à l’échelle du port d’Argentat. On enregistrait de grandes variations selon les années.
De 1875 à 1897, cette navigation ne fut possible que pendant vingt-sept jours par an en moyenne, en automne et au printemps. En 1860, année de pluies persistantes, 571 gabares furent construites et seulement 51 en 1881, année de sécheresse.
Le voyage, plutôt périlleux du fait des vingt-cinq « malpas » (passages dangereux), demandait trois à quatre jours de Spontour à Libourne, cinq jours d’Argentat à Bordeaux. Bien des gabariers trouvaient la mort au cours de ces descentes. Ils étaient pourtant très expérimentés. La « Royale » recrutait d’ailleurs parmi eux des marins habitués à une navigation difficile parmi les écueils; ils bénéficiaient de l’inscription maritime depuis le XVIIIe siècle.
De Bort à Meyronne (en aval de Souillac), la Dordogne n’était navigable qu’à la descente, alors qu’au-delà elle l’était dans les deux sens. Quelques gabares, transportant le sel, remontaient jusqu’à Souillac. Les autres étaient vendues sur place, dans le Bordelais, à vil prix, pour être dépecées et transformées en bois de chauffage. D’où l’expression de travail « à bateau perdu ». Les gabariers, quant à eux, s’en revenaient au pays à pied.
Après 1875, le chemin de fer facilita, dans un premier temps, le retour des gabariers, mais il devint rapidement un sérieux concurrent de leur activité. Le transport routier lui porta le coup de grâce, et les gabares disparurent dans l’entre-deux-guerres. La dernière circula en 1936.
Aménagement hydro-électrique du fleuve de la Dordogne
Un aménagement hydroélectrique complexe a transformé, en un quart de siècle, la haute Dordogne et ses affluents. Profitant d’un relief favorable, un escalier de barrages, de retenues et de centrales a été réalisé dans le fond de la vallée, entre Singles et Argentat, sur une centaine de kilomètres; 355 m de chutes ont ainsi été aménagées. Les affluents ont été barrés et une conduite forcée amène leurs eaux vers la turbine d’une centrale située dans la vallée principale.
La réalisation de ces grands ouvrages hydrauliques a démarré par la construction d’un escalier de trois barrages (Marèges en 1935, L’Aigle en 1945, Chastang en 1951, avec centrales d’éclusée). Cet ensemble a été complété par un vaste barrage-réservoir en amont (Bort en 1952), puis par un barrage de compensation en aval, à Argentat (Le Sablier en 1957).
L’inondation des vallées en amont d’Argentat a doublement coupé le pays: d’une rive à l’autre ne subsistent plus que de rares ponts d’accès difficile; l’escalier de barrages et de retenues a rendu toute circulation longitudinale impossible. Ainsi, le cloisonnement est devenu la règle; et ces aménagements ont créé de toutes pièces des « bouts-du-monde et coupé des pays de leurs centres traditionnels de rattachement, comme le montre la Xaintrie.
Le fleuve de la Dordogne aujourd’hui
La part du bassin de la Dordogne dans l’approvisionnement en électricité de la France, à l’origine considérable, a beaucoup diminué avec l’essor des centrales nucléaires; sa vocation est désormais de fournir une énergie électrique d’appoint, essentiellement hivernale.
L’impressionnante production d’énergie initiale a eu peu d’incidences sur l’économie locale: il n’y a pas d’industrie ni d’habitat à proximité des installations. Au contraire des Alpes, la Dordogne et le Massif central ont été équipés à un moment où la technique du transport de l’électricité à longue distance était au point (haute tension) et où l’hydroélectricité n’était donc plus facteur de localisation industrielle. En revanche, les collectivités possédant sur leur territoire un barrage ou une retenue reçoivent chaque année une manne financière d’EDF, au titre des taxes foncière et professionnelle, auxquelles s’ajoutent les redevances piscicoles. Ces recettes représentent jusqu’à 80 % des ressources de certaines communes autour d’Argentat et de Tulle.
Par suite de la dilatation et de la contraction du béton entre été et hiver ou des variations de pression exercées par l’eau, les barrages connaissent des mouvements réversibles d’avant en arrière, de l’ordre de 2 cm. Le Centre d’auscultation des grands barrages, basé à Toulouse, est chargé de contrôler leur stabilité et d’analyser les fuites éventuelles de façon à garantir la plus grande sécurité. Pour ausculter ces ouvrages, on vidange périodiquement les retenues en tenant compte, autant que faire se peut, des dates de la saison touristique. Toutefois, ces opérations techniques ont fait naître un tourisme inattendu qui gravite autour de la découverte des sites ennoyés.
Ainsi, au printemps 1995, la vidange de la retenue de Bort a permis de retrouver la haute vallée avec le site original de Port-Dieu et l’infrastructure de la ligne de chemin de fer de Merlines à Bort-les-Orgues.
En amont d’Argentat, les nombreuses retenues forment des plans d’eau dont la plupart ont été aménagés pour le tourisme (bases nautiques, centres de loisirs, campings); Bort-les-Orgues, Neuvic, Marcillac-la-Croisille, Servières-le-Château, Le Gibanel sont ainsi devenus des lieux de villégiature estivale.
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